Pour les sites qui tirent leurs revenus de la publicité, il n’y a pas de petit visiteur. Tous les moyens permettant d’attirer des internautes sont mis en œuvre dans une logique où la quantité prime sur la qualité. Un faux mouvement, un chat qui appuie sur la souris, bref un clic sur une publicité même s’il n’est pas qualifié apportera au final toujours un petit gain pour l’éditeur. Après tout il n’y a pas de petit profit. Et parmi toutes les façons tordues qui existent pour essayer d’attirer des visiteurs, je suis tombé sur une cette semaine qui m’a interloqué. Cette méthode est utilisée même par les plus grands journaux qui n’hésitent pas à publier des articles médiocres pour l’occasion.
Principe du doodle
De temps en temps, Google change sa page d’accueil pour la personnaliser à un évènement qui se produit le jour même ou pour célébrer l’anniversaire d’un évènement. Sur le doodle on retrouve les lettres G.O.O.G.L.E intégrées dans l’illustration. Cette page particulière n’est affichée qu’une seule journée, le lendemain c’est la page classique qui fait son retour. Elle est généralement personnalisée pour un pays.
L’image du doodle est en réalité un lien vers une recherche Google en rapport avec l’évènement. Ainsi les visiteurs intéressés ou simplement curieux peuvent obtenir plus d’informations. Et c’est là que survient le drame. Dès l’apparition d’un nouveau doodle, des articles sont écrits à la hâte afin de profiter de ce trafic providentiel. Et grâce à l’indexation instantanée des flux d’actualité, ces articles se retrouvent dans les premiers résultats.
Le magazine Le Point se comporte comme un vulgaire MFA
Cette pratique m’est apparue lors d’un voyage à l’est de la France. Avec le décalage horaire, quand la majorité de France dort et que plus aucun article n’est publié, voici que le site du magazine Le Point met en ligne une nouvelle actualité sur un sujet complètement anecdotique : Les 216 ans de la botaniste Anna Atkins. Alors certes souhaiter un anniversaire à minuit pile c’est chouette quand on est ado et qu’il s’agit de sa petite-copine mais à 216 ans il reste peu de chance qu’Anna Atkins soit très sensible à ce genre d’attention.
Quelques temps après, lors d’une visite sur la version française de Google je me suis aperçu que le doodle de la journée était consacrée justement à Anna Atkins. A ce moment j’ai trouvé cette coïncidence assez insolite. Et j’ai cliqué sur le lien de l’image pour en apprendre plus sur cette dame.
La recherche Google se lance avec uniquement le nom d’Anna Atkins. Et comme toujours on retrouve Wikipédia en tête des résultats, l’actualité du magazine Le Point et d’autres articles destinés à des professionnels de la botanique en anglais sur des sites universitaires… L’article Wikipédia en français se compose d’une dizaine de lignes seulement et reste très général sur ses travaux et sa vie.
Un article juste pour les moteurs de recherche
Je passe ensuite à l’article du Point, car c’est le seul qui est en français pour avoir des explications sur ce qui pousse Google à mettre en avant cette personne pour cette journée. Et là, c’est la catastrophe… Je crois que c’est la première fois que je vois un article aussi écrit à la va-vite sur le site d’un magazine de professionnels. L’énorme avantage du Point c’est qu’il dispose d’une entrée dans les flux d’actualité, le nouvel article est donc automatiquement indexé et positionné dans les résultats de la recherche. La phase consistant à augmenter le référencement naturel pour cette page spécifique n’a même pas à être réalisée.
Ce paragraphe, par exemple, est aussi faux que ce qu’il est mal écrit… Plusieurs sites d’éditeurs font état d’une encyclopédie en 8 volumes seulement et aucune mention du nombre d’exemplaires originaux n’existe. D’autant plus qu’une partie a été écrite manuellement par Anna Atkins.
Mais le problème le plus inquiétant pour un magazine comme Le Point, c’est cette phrase sur l’explication du cyanotype qui arrive au milieu de l’article comme un cheveu sur la soupe. Pas de lien avec la phrase précédente et un changement de style radical. Et bien la personne qui a écrit l’article s’est contentée de copier la définition de Wikipédia au mot près. De toute façon personne ne connaissait Anna Atkins, pas plus que le cyanotype, avant aujourd’hui et cet article n’est de toute façon pas destiné à être lu.
Positionner une page sur une requête éphémère
Le seul but est d’être le premier sur cette requête qui ne sera utilisée que pour la journée. Un pic de trafic sera observé puis la pauvre Anna Atkins retombera dans l’oubli qui fut le sien depuis 144 ans. La qualité du texte n’est pas un critère de publication, être le premier est sans doute le plus important avec cette stratégie d’autant que la concurrence est nulle sur les termes recherchés. Il faut donner à manger au moteur de recherche coûte que coûte le plus rapidement possible pour attirer les curieux du jour. Et tant pis si on renie un peu ses convictions de journaliste. L’auteur n’est toutefois pas assez courageux pour signer un article de cette qualité. L’article est donc sobrement crédité au magazine dans son ensemble.
L’article porte sur Le Point uniquement car l’article a été publié 1 minute après l’apparition du doodle mais rapidement tous les journaux de la planète leur ont emboîté le pas. La pauvre Anna Atkins qui seulement connue de quelques botanistes fait maintenant l’objet de centaines de milliers d’articles aussi creux que celui du Point dans toutes les langues qui sont tous apparus en une journée…
Le Point est spécialiste de l’article sur le doodle
L’écriture d’une actualité en rapport avec la recherche associée au doodle est devenue une spécialité pour Le Point. Chaque fois que Google fait une page d’accueil spéciale, Le Point nous pond un pseudo-article dans les 5 minutes après minuit. Toujours aussi mal écrit et oublié dès le lendemain.