Les régimes représentatifs sont en crise. Cette crise se traduit par une baisse croissante de la participation électorale. L’abstention devient pour le citoyen le moyen principal de contestation du régime politique en place. Ce phénomène prend tellement d’ampleur que sa progression est dangereuse pour la bonne santé démocratique des différents pays. De plus, l’abstentionnisme touche toutes les formes de votation.
Il s’agira de démontrer dans une première partie les influences du contexte politique et social dans lequel se déroulent les référendums en retenant les aspects qui interfèrent le plus dans la pratique du référendum et sur la participation électorale en général. Puis nous préciserons les particularités propres aux scrutins référendaires. Dans ce cadre nous verrons que l’abstentionnisme est très important lors des consultations référendaires car les facteurs favorisant l’abstentionnisme lors des scrutins électoraux se combinent aux facteurs propres aux référendums eux mêmes.
Dans une seconde partie, une comparaison de différents résultats référendaires sera effectuée. Elle permettra de rechercher une attitude commune des citoyens français, italiens ou suisses devant cet instrument. A l’issue de ce paragraphe, nous tenterons de dégager les caractéristiques auxquelles doit répondre un référendum afin qu’il « suscite l’engouement des électeurs ».
2.A – Les contextes sociologiques et politiques
L’étude de l’intéressement au référendum ne peut être appréhendée sans définir sa fonction et son utilisation dans les systèmes politiques. De surcroît les taux d’abstention record de ces dernières années touchent toutes les formes de votation. Le phénomène est donc global, les facteurs influant sur l’abstention lors des scrutins électoraux valent aussi lors des scrutins référendaires. L’abstentionnisme référendaire ne peut donc être expliqué que par rapport à lui même, il évolue généralement de la même façon que l’abstentionnisme électoral, et dépend de différents éléments sociologiques, politiques, économiques et culturels. C’est pourquoi nous étudierons d’une façon globale le système suisse et italien. La Suisse et l’Italie sont des démocraties dites semi-directes dans lesquelles l’instrument fait partie des piliers institutionnels, il a des impacts très profonds dans les régimes eux-mêmes. On peut dire que la vie politique de ces deux pays est dominée par les effets directs et indirects des référendums.
Afin de concentrer l’étude et même si différents éléments influent aussi sur le vote des citoyens, la France ne sera pas étudiée. En raison de la rareté du déclenchement du référendum, ce dernier a une incidence minime sur le régime politique en comparaison de la Suisse et de l’Italie.
La Suisse ou l’exemple d’une démocratie de consensus
La Suisse est le pays où le plus grand nombre de référendum sont organisés. Elle est l’emblème de la souveraineté populaire. La Suisse a un régime politique très particulier et présente un caractère atypique par rapport aux autres démocraties d’Europe de l’Ouest, dans lequel le référendum n’est pas neutre. En effet la vie politique suisse est calme.
La première Constitution fédérale est née en en 1848 à la suite d’une très courte et peu sanglante guerre civile. Déjà cette Constitution prévoyait différents cas dans lesquels devaient être organisés des référendums mais le système était essentiellement représentatif. Plus tard, dès 1874, la Constitution un peu modifiée prévoyait la possibilité pour une fraction du corps électoral de déclencher des référendums.
Dès le 19eme siècle ce pays a donc instauré le référendum législatif d’initiative populaire qui est donc apparu pratiquement avec la naissance de l’État fédéral lui même. Très vite, d’autres types de référendums furent introduits mais les bases étaient posées. Il s’agit entre autre, en 1891, du référendum constitutionnel d’initiative populaire permettant à une fraction du corps électoral de soumettre à la consultation populaire une révision totale ou partielle de la Constitution. Le recours au référendum en Suisse est donc traditionnel. Il fait partie du cœur des institutions, son maniement et les conséquences qui en découlent sont acquis et connus de longue date. Le référendum est donc né et a évolué avec le régime suisse lui même, pourtant il est surprenant que cette technique de démocratie directe se soit installée si facilement car la société suisse n’était pas à proprement parlé le terrain idéal pour son implantation. Comme nous l’avons vu le référendum facultatif fut instauré dès 1848, date à laquelle la Suisse s’initia à la pratique de consensus. Toutefois la Suisse se démarque effectivement des autres démocraties occidentales à partir de 1919, date où fut instauré le principe de l’élection législative à la proportionnelle. C’est à partir de cette date que la Suisse a abandonné le fait majoritaire pour devenir une démocratie atypique d’Europe de l’Ouest. Le régime helvétique dispose de deux piliers institutionnels : le consociativisme et le référendum d’initiative populaire. En effet le système politique suisse se caractérise par le fait que, quelle que soit la matière, toute décision parlementaire est le fruit d’une longue délibération grâce à laquelle, en principe, la diversité des intérêts en présence auront été intégrés dans la décision. On imagine la difficulté du travail des représentants d’autant plus que le système électoral proportionnel favorise la représentation de toutes les minorités de la société suisse. Il parait étrange que ce système, qui en Italie, a provoqué un blocage parlementaire, se soit si bien implanté en Suisse. En effet, la société suisse est extrêmement hétérogène : il y a environ 65% d’allemand, 19% de français, 10% d’italien. Le taux d’étrangers est de 20%. Cette diversité, présente aussi au parlement en raison du scrutin, aboutit à ce que les décisions satisfassent les vingt-six systèmes de partis représentés. Dans le cas contraire un référendum législatif d’initiative populaire risquerait d’être déclenché par la minorité parlementaire qui n’a pas pris part dans le processus d’élaboration de la loi.
L’initiative populaire a aussi accentué la démocratie de consensus mais d’une façon beaucoup plus pernicieuse que le système électoral. Le référendum n’est pas une technique qui, par nature, pouvait s’intégrer aisément dans un pays si pluraliste avec des intérêts si contrastés et une culture si diversifiée. Le référendum ne permet pas de pondération, de balancement : la majorité l’emporte. Les problèmes de la société suisse ne peuvent donc être tranchés trop fréquemment par ce biais d’où la nécessité de faire des lois consensuelles qui ne seront pas remises en cause plus tard. Ces deux phénomènes ont poussée le consociativisme à l’extrême.
Le visage du référendum se présente alors moins sous l’aspect a priori d’une technique pro-démocratique, facteur de légitimité maximum de décisions directement prises par le peuple, mais sous celui d’une arme à la disposition d’une fraction du corps électoral contre les décisions politiques qui n’ont pas fait une place assez importante aux différentes tendances sociologiques. En effet le référendum facultatif d’initiative populaire est souvent qualifié d’ « épée de Damoclès » au dessus du législateur. L’actuel article 89-2 de la Constitution fédérale permet au peuple souverain d’exercer un droit de veto sur le pouvoir exécutif en censurant une loi fédérale. Le travail législatif est ainsi défini par l’art d’éviter le déclenchement ultérieur d’un référendum législatif par l’opposition. Cette situation place cette dernière dans une situation très différente de celle que nous pouvons rencontrer au sein des démocraties majoritaires. Elle tient une place importante dans le processus d’élaboration des lois. Une négociation réussie entre toutes les tendances parlementaires est la clé de voûte d’un travail législatif efficace. En Suisse le phénomène de la démocratie de concordance a pris tellement d’ampleur que le consensus a intégré l’exécutif lui-même. L’exécutif est collégial et est le fruit d’une collusion des grands partis politiques. Les différents ministères sont donc confiés à des membres du parti socialiste, de parti radical démocrate et du parti démocrate chrétien. La Suisse pourrait paraître comme un pays très difficilement gouvernable. Malgré le multipartisme, les institutions, les gouvernants et le peuple ont su s’adapter à cette démocratie dont l’exécutif et sa remarquable stabilité sont qualifiés de « formule magique » par les observateurs. En effet depuis 1959, la composition de l’exécutif n’a pas évolué. Il est exercé par les quatre plus grands partis. L’élection ne correspond plus comme dans les démocraties majoritaires à un changement d’orientation politique du gouvernement. Les élections législatives vont permettre d’éliminer des hommes politiques non pas pour leurs tendances politiques mais pour leur incompétence personnelle.
L’ensemble de ces facteurs permettent d’aboutir à deux grandes conséquences :
D’une part le régime suisse connaît un affaiblissement relatif du parlement, il n’a pas le dernier mot et n’est pas la seule source de normes législatives. Parallèlement le parlement connaît comme tous les parlements du monde le renforcement des moyens du pouvoir exécutif. Ce phénomène est toutefois à relativiser car le parlement est « protégé » par le coût et la lourdeur de la procédure de référendum. En pratique, ces obstacles aboutissent à ce que le référendum ne puisse être déclenché sans vraie nécessité. De surcroît les résultats référendaires permettent de constater la confiance des citoyens envers les institutions : les révisions constitutionnelles d’origine parlementaire et les contre-projets sont plus souvent adoptés que les initiatives populaires déclenchées par un groupe de citoyens. Seul 7% des projets susceptibles d’être soumis ultérieurement au vote des électeurs le sont effectivement et plus de la moitié d’entre eux sont refusés par le peuple.
Une autre conséquence importante de la démocratie de consensus et de la longue tradition de démocratie directe est l’affaiblissement intrinsèque des partis politiques. La logique des institutions ne permet pas de disposer d’un système de partis forts, organisés et disciplinés. Dans ce contexte le vote des citoyens suisses se fait en dehors de tout contexte partisan, le vote est individualiste. A la différence de l’Italie où le système est aussi marqué par la pratique du consensus mais où le vote partisan reste très élevé, les citoyens suisses votent de façon beaucoup plus autonome. Les partis, d’eux même, ne s’arrogent pas le droit de donner des consignes de vote. Or cette constatation a de lourdes conséquences sur la participation. Comme nous l’avons vu en introduction les décisions politiques évoluent dans des sociétés de plus en plus complexes, les représentants du peuple éprouvent eux même des difficultés devant certaines questions. Or les citoyens suisses ne sont pas beaucoup plus compétents que les citoyens français ou italiens pour répondre à des questions complexes. Alors qu’en France ou en Italie le contexte partisan aide les citoyens à trancher les questions complexes, les chefs de partis n’hésitent pas à informer les citoyens de leur position, les citoyens suisses, quant à eux, préfèreront s’abstenir. En conséquence un taux de participation bas en France et en Italie est considéré comme normal en Suisse.
En conclusion, le système de consensus s’est bien intégré et fait aujourd’hui partie intégrante du paysage politique suisse. Malgré un terrain hostile au départ dont l’origine est la diversité culturelle, la démocratie de concordance a su s’adapter à tel point que depuis l’après guerre aucun grand projet législatif n’a fait l’objet d’un référendum législatif. Cette constatation est moins vraie pour les référendums constitutionnels d’initiative populaire qui ont été souvent déclenchés.
Alors que le référendum législatif a de nombreuses conséquences politiques et institutionnelles, l’étude du référendum constitutionnel doit s’envisager sous un aspect plus sociologique. Par opposition aux autres référendums suisses qui se déroulent à rythme régulier, le référendum constitutionnel d’initiative populaire a connu des périodes pendant lesquelles les consultations se sont succédées sans interruption. Malgré ce que l’on pourrait penser a priori ce phénomène ne correspond pas à un signe de bonne santé politique et sociale. Ces phases durant les quelles les citoyens multiplient les initiatives ne signifient pas que ces derniers ont plus « l’esprit » civique. Au contraire, elles correspondent plus à des périodes de crise surtout à caractère économique. Les taux de participation sont d’ailleurs très bas. Notons que le référendum législatif d’initiative populaire connaît lui aussi des variations mais beaucoup moins significative. Son déclenchement augmente certes un peu mais cela vient surtout du fait que lorsque la société va mal elle est plus divisée et dans ce cas le compromis est plus difficile à atteindre. Par contre le référendum constitutionnel d’initiative populaire, dont l’aboutissement est de donner des solutions nouvelles et extérieures aux institutions étatiques, connaît de plus amples variations dans son déclenchement. Il reflète mieux les phases de malaise de la société suisse comme cela fut le cas à la suite de la crise économique mondiale en 1974.
L’Italie et l’échec de la démocratie de consensus
A coté de la Suisse il existe une autre démocratie d’Europe de l’Ouest qui se distingue sensiblement du modèle traditionnel européen. Or comme nous le verrons cette orientation est récente et si l’Italie a eu tendance depuis la fin des années 1960 à se rapprocher du modèle suisse, une réforme récente de 1993 devrait ramener les institutions italiennes vers un modèle plus conforme à la tradition européenne. Le régime suisse comme nous venons de le décrire n’a aucun corollaire en Europe. La situation politique de l’Italie durant ces 30 dernières années a sans doute démontré que le régime suisse ne convenait qu’à ce pays et qu’il est impossible de le greffer dans un autre pays sauf à faire subir à la société tout entière un dysfonctionnement généralisé. Comme le faisait remarquer le juriste suisse Jean-François Aubert, les caractéristiques du système helvétique sont apparues il y a fort longtemps. Selon lui « le référendum est une affaire d’habitude. Quand on le pratique depuis plus de cent ans, qu’on l’ a développé à l’époque de la lampe à pétrole, on a eu le temps de s’y accoutumer et on ne peut plus s’en passer…Mais vouloir, à la fin du 20eme siècle, l’importer dans un pays où il n’a aucune racine dénoterait, c’est le moins que l’on puisse dire, un goût de l’aventure tout à fait surprenant ». Si dans cet article l’auteur parlait des difficultés qu’engendreraient l’intégration de certaines institutions suisses en France, la pratique italienne prouve que cette affirmation n’est pas dénuée de sens. Il en résulte que l’Italie est un pays de contradictions : sous certains aspects c’est un pays moderne et une grande puissance, mais le régime est aussi caractérisé par des aspects très archaïques. Cette affirmation vaut surtout pour le pouvoir politique. En effet l’exécutif est le centre des polémiques, ce dernier est caractérisé par une très grande instabilité depuis un siècle et demi. La seule période stable fut la parenthèse fasciste avec l’arrivée de Mussolini au pouvoir en 1921. Selon certains, on peut comparer les problèmes du système politique italien actuel avec ceux que la France a connu sous la Troisième République. Toutefois l’instabilité gouvernementale italienne se distingue fortement de cette période de l’histoire française par le fait qu’en Italie, si les gouvernements sont régulièrement renversés, ne permettant aucune continuité gouvernementale (sur le plan de l’agenda politique comme sur celui de la direction de l’administration), ce sont toujours les mêmes hommes politiques qui gouvernent et les gouvernements successifs sont seulement remaniés. Ainsi depuis l’entrée en vigueur de la Constitution de 1947 plus de 50 gouvernements se sont succédés mais sans aucune alternance. La contradiction entre stabilité et instabilité n’a jamais été aussi forte que pendant l’après-guerre. Cela tient au fait que pendant cette période un système de représentation proportionnelle dont le but était d’éviter tout retour du fascisme en Italie a été instauré. Le contexte multipartite n’a pas fonctionné du fait des querelles incessantes des partis politiques créant une instabilité politique considérable. Pour atteindre une petite majorité, le parti dominant, la Démocratie Chrétienne (DC) s’alliait avec différents petits partis tels que le parti laïc italien, les petits partis centre-droit, centre-gauche. Avec le multipartisme la DC était toujours au pouvoir mais ne remportait jamais la majorité absolue des sièges. En 1948lors des premières élections, la DC a obtenue son score le plus haut (seulement 48,5% des voies) au Parlement. Le multipartisme ne crée pas ipso facto une telle instabilité, l’exemple suisse en est la preuve. En Italie cette situation est la conséquence logique d’un manque d’entente permanente et de la structure des partis politiques. En effet, le manque de cohésion des partis politiques s’ajoute à un facteur intrinsèque des partis eux-même. En Italie les partis politiques ne se sont ni organisés ni structurés et en général ils ne sont pas dirigés par un secrétaire général mais plutôt par un ensemble de courants, cette absence totale de centralisation empêche toute tendance unitaire au sein d’un même parti. Cette désorganisation caractérise tous les partis italiens y compris la DC qui a pourtant gouverné pendant quarante ans.
Le mode de scrutin présentait un autre inconvénient, il ne permettait pas à un petit transfert de voix de produire un changement de majorité. Le système purement proportionnel jusqu’en 1994, avec exclusion des extrêmes, ne procure aucun intérêt majeur au vote des citoyens étant donné que les seuls changements se traduiront en pratique par une simple redistribution dans l’attribution de places d’intérêt mineur au sein du gouvernement. Cette situation a conduit à qualifier de « sottogoverno » les postes de seconde importance dont il est question. En pratique il s’agit d’emplois haut placés dans l’administration. Ce contexte politique a conduit les italiens, un peuple pourtant très concerné par la politique et très militant après la seconde guerre mondiale, à n’attribuer qu’un rôle mineur aux élections. Pourquoi voter ? Le scrutin ne permet pas aux citoyens de profonds changements politiques et le gouvernement élu a peu de chance de survivre au delà d’un an ! L’abstentionnisme a donc été favorisé par la crise politique spécifique au régime italien mais aussi par la crise économique qui a frappé touts les pays industrialisés et dont nous avons déjà parlé pour la Suisse durant les années 1970. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale c’est pendant cette période que les problèmes les plus aiguës de la société italienne sont apparus. En plus d’une économie malade et d’un chômage massif, une corruption politique généralisée existait en tout impunité. Les autorités judiciaires ne s’autorisaient pas à poursuivre les grands hommes politiques. Cette particularité de la culture traditionnelle italienne tend à se dissiper depuis le début des années 1990.
D’un point de vue plus juridique, vis à vis du pouvoir législatif, la situation du pays n’était pas plus florissante. L’absence de majorité au Parlement, résultant de l’effet proportionnel, a initié la pratique du consensus. La démocratie de consensus qui fonctionne si bien en Suisse, n’a pas su s’adapter en Italie lors de l’instauration du régime d’après guerre. La sur-représentation des partis politiques, le multipartisme, a conduit le régime italien à être qualifié de « démocratie bloquée ». Toutes les représentations politiques au Parlement ne parvenaient pas suffisamment au compromis, l’inorganisation des partis italiens ne permettait pas de rendre le travail législatif efficace. Le référendum abrogatif d’initiative populaire a joué un rôle de déblocage en créant une nouvelle source de pouvoir législatif : le peuple. Comme cela a été dit en introduction, la démocratie directe a été greffée sur les régimes représentatifs traditionnels non pas par idéologie démocratique mais comme un moyen de résoudre les crises frappant les régimes représentatifs traditionnels. L’exemple italien est frappant à ce sujet car le principe du référendum abrogatif dormait dans les dispositions constitutionnelles depuis 1947. Il fallut attendre les années 70, le sommet de la crise politique, pour que le système devienne effectif. En 1974 le pays se trouva même pendant une brève période sans gouvernement à la tête de l’État. Le contexte de l’instauration du référendum italien marque toute son ambiguïté. En effet, d’une part le référendum est utilisé afin de contourner un parlement « inerte » résultant de la pratique du consensus et, parallèlement, l’initiative populaire renforce la pratique du consensus en raison de la possibilité par une minorité de déclencher une initiative contre une loi si celle-ci ne lui convient pas. Le référendum italien accentue donc un phénomène non désiré pour permettre parallèlement de contourner l’origine du phénomène de blocage à savoir le parlement.
Toutefois le référendum n’a pas eu l’effet souhaité car les déclenchements d’initiatives ont été très nombreux, beaucoup plus nombreux que ce qu’une utilisation normale aurait dû permettre. Cela a conduit, en pratique, à l’irruption continue de questions extérieures dans l’ordre du jour. Ces questions imprévues n’ont fait qu’accentuer la paralysie parlementaire en bouleversant sa politique législative et provoquer la lassitude des électeurs.
La situation politique de l’Italie ne pouvait que s’améliorer. En effet en 1993 une des plus grandes réformes a vu le jour : le peuple a approuvé la modification du mode de scrutin électoral grâce à laquelle l’Italie devrait s’engager dans un cadre bipolaire. Ainsi lors du référendum du 18 Avril 1993, le peuple se prononce indiscutablement (82,7% de oui) pour la réforme du scrutin proportionnel existant en scrutin mixte. Ce référendum a été confirmé par une loi parlementaire du 3 Août 1993. Désormais 75% des membres des Chambres sont élus au suffrage majoritaire et 25% selon un mode proportionnel. Le référendum était une réforme en faveur du fait majoritaire. En effet, le scrutin majoritaire a pour conséquence d’éviter la sur-représentation des petits partis. Cela doit logiquement conduire à la bipolarisation au sein de l’Assemblée et donc à la disparition du consociativisme. La technique du découpage utilisée pour le référendum ne permettait qu’au Sénat de bénéficier de la réforme. On a étendu ses effets en considérant qu’elle valait aussi pour la Chambre des Députés mais cela sans aucun fondement juridique valable. Par contre la technique des découpages n’a pas permis d’instaurer un système purement majoritaire. Des référendums organisés en 1999 et en 2000 ont tenté d’achever la réforme du scrutin et de faire disparaître le scrutin proportionnel de liste pour l’attribution de 25% des sièges à la Chambre des députés. Le quorum n’a pas été atteint et les réformes n’ont pu aboutir. Même si cela avait été le cas, il aurait été impossible qu’un régime instable depuis 1861 retrouve une quiétude instantanée. On ne peut qu’espérer que ces évolutions récentes vers la démocratie majoritaire, conduisent l’Italie petit à petit vers le chemin de la stabilité politique.
Ce renouveau du système politique n’a pas encore réconcilié le peuple italien avec la classe politique comme en témoigne le taux très bas de participation aux derniers référendums, le taux de participation moyen depuis 1997 est de 30%. Un autre fait est encore plus révélateur du fait que la lassitude du peuple italien perdure. Depuis les années 1990, les Chefs d’État italiens sont pas des hommes politiques tels qu’on les conçoit habituellement. En effet la victoire de personnalités telles que Romano Prodi ou Silvio Berlusconi, qui n’ont pas d’idéologie particulière, pourrait montrer que les Italiens ne votent plus de façon partisane. Leurs succès de ces personnalités semble être du à leur « non appartenance » au milieu politique. Berlusconi, qui serait l’homme le plus riche de la péninsule, est beaucoup plus un homme d’affaire puissant qu’un homme politique.
Outre ces facteurs qui favorisent l’abstentionnisme électoral en général, des facteurs particuliers au référendum lui même aboutissent à ce que les scrutins référendaires ont les taux d’abstention les plus forts.
2.B – L’abstention : un phénomène particulièrement apparent pour le référendum
L’étude précédente concernant l’Italie et la Suisse a permis de montrer de quelle façon certains facteurs économiques et sociaux jouent de façon directe sur la participation électorale en général. Concernant plus particulièrement le scrutin référendaire, l’abstentionnisme, malgré ce que l’on pourrait penser, y est plus marqué en raison de la dénaturation de l’utilisation de l’instrument. Le référendum a d’une façon générale un taux d’abstention plus élevé qu’un scrutin électoral. Le tableau n° 1 en annexe montre bien cette tendance dans tous les pays d’Europe.
L’usage du référendum porte souvent l’électeur à s’abstenir : les taux record des deux derniers référendums en France (63,1% d’abstentions pour le référendum sur le statut de la Nouvelle-Calédonie le 6 novembre 1988 ; 69,8% d’abstention avec 16,18% de votes blanc ou nul pour le référendum de 2000 sur le quinquennat) en restent, jusqu’à ce jour, la plus nette illustration. De même en Italie (tableau n°2 en annexe) les trois dernières consultations n’ont pu permettre l’abrogation des différentes lois soumises au peuple. En effet lors de la consultation de 1997, de Mai 2000 et d’Octobre 2001, le taux de participation moyen n’était que de 30%. Ces résultats récents, pour le moins surprenants, ne sont que les conséquences d’une longue progression de l’abstention. Si le contexte général n’est pas favorable, les résultats référendaires mettent en exergue l’ampleur du sentiment de rejet qu’éprouvent les citoyens envers la classe politique. Les électeurs boudent particulièrement le référendum surtout parce qu’il est utilisé comme une arme politique. Si cela n’est plus vrai aujourd’hui en France, cela a été souvent le cas dans l’histoire. Toutefois ce constat est toujours d’actualité en Italie et en Suisse. D’ailleurs si les recours au référendum se sont multipliés depuis les années 70, l’une des raisons majeures est que leur utilisation actuelle est beaucoup plus large que le rôle originel attribué par les Constitutions.
L’origine de la désaffection constatée
Les raisons historiques et sociologiques
La France est marquée par le souvenir des plébiscites napoléoniens. Comme cela a été dit en introduction, la France fut l’une des co-fondatrices du référendum. C’est en effet par ce biais que fut instaurée la première Constitution Républicaine, celle de l’An Un en 1793. Malgré cette avancée démocratique considérable, le détournement de l’instrument durant le Premier et le Second Empire par Bonaparte marqua à jamais l’utilisation de l’instrument. Aux yeux des républicains il demeure une menace. Cette crainte résulte des consultations directes que Bonaparte organisa entre l’An Huit et l’An Dix. En effet dans un premier temps en 1799, il confisqua presque tous les pouvoirs de la République, en 1802 il transforme la République en Empire. En 1851 et en 1852, Louis Napoléon Bonaparte utilise le même procédé à deux reprises pour fonder le Second Empire. La pratique Bonapartiste a donné au référendum une connotation péjorative en lui conférant une marque plébiscitaire. Lors de ces consultations populaires il ne s’agissait pas pour le peuple d’approuver ou de rejeter une loi, mais de conférer à un homme l’ensemble des pouvoirs et la direction de l’État.
La pratique bonapartiste a marqué les républicains à tel point que son usage ne fut pas introduit dans la Constitution de la Troisième République. S’agissant de la Quatrième République elle limitait l’usage du référendum aux seules révisions constitutionnelles (articles 3 et 90 de la Constitution du 13 Octobre 1946).
Il faudra attendre la mise en place de la Cinquième République pour connaître un vrai retour du référendum. A cette époque De Gaulle était assisté par deux éminents juristes : Michel Debré et René Capitant. Or tous deux étaient loin de partager les mêmes conceptions quant aux recours aux techniques de démocratie directe. L’un était défavorable à l’instauration du référendum, l’autre défavorable. Le Général va alors trancher et décider d’instaurer le référendum mais seul le Chef de l’Etat détient l’initiative du déclenchement et l’objet sur lequel le référendum pourra porter est strictement encadré. A quatre reprises, il déclenchera une consultation et cela sans prendre l’avis du gouvernement conformément à la lettre de l’article 11. A chaque consultation, il s’engage à quitter ses fonctions en cas de réponse négative. La pratique de de Gaulle, conformément à sa lecture présidentialiste de la Constitution, a suscité des craintes et on a reparlé du problème du plébiscite. Toutefois cette crainte est révolue. S’il est vrai que de Gaulle s’est servi de l’article 11 comme un instrument de pouvoir personnel, les référendums gaulliens se distinguent nettement des référendums bonapartistes car les campagnes se déroulaient avec une presse abondante et critique et les risques politiques assumés par de Gaulle n’étaient pas les mêmes. En effet en 1969 conformément à ce qu’il avait annoncé il a quitté ses fonctions suite à un vote défavorable. Les référendums gaulliens ont sans doute fortement marqué la pratique du régime de la Cinquième République. Ses successeurs n’ont pas eu aussi souvent recours à l’instrument, loin s’en faut, et les rares fois où la consultation populaire a été déclenchée, les Présidents de la République ont pris garde à ne pas l’associer à une question de confiance.
En résumé, l’aspect historique du référendum en France lui a conféré une connotation négative, il fait l’objet d’un manque de confiance qui perdure dans l’esprit des républicains. Mais une dérive de l’utilisation de l’instrument existe aussi en Italie et en Suisse, le référendum est utilisé comme une tactique politique à part entière. Nous allons voir ce point.
Les mécanismes de la désaffection du corps électoral
Les dérives politiques du recours au référendum
En Suisse, l’initiative populaire a très tôt été utilisée par les partis politiques dans l’opposition pour se faire connaître des citoyens et accéder au processus décisionnel gouvernemental et parlementaire. Selon la Constitution helvétique, le déclenchement d’un référendum doit provenir d’une fraction du corps électoral. Très loin du modèle idéal d’impulsion tel que défini par la Constitution, les citoyens ont un rôle marginal, en pratique il est l’arme privilégiée des partis d’opposition minoritaires, et de petites organisations. Dans sa fonction originelle l’initiative devait permettre à un groupe minoritaire de se faire entendre en recourant directement au peuple si certains intérêts importants n’avaient pas été pris en compte par les représentants. La dérive qui en a été faite découle des caractéristiques du référendum. Le référendum exige des soutiens pour la récolte des signatures, déclencher des campagnes d’information médiatique, impose des débats au parlement, oblige les partis politiques à se déterminer sur la question. L’effet mobilisateur du référendum a pour conséquence que si le référendum n’a aucune chance d’aboutir à l’adoption du texte, les organes décisionnels sont contraints d’engager des discussions sur le sujet, même lorsque celles-ci ne figuraient dans l’agenda politique prévu initialement. L’organisation qui lance un référendum est donc assurée de se faire connaître du peuple, dans un premier temps, puis d’intégrer le parlement, voir le gouvernement, pour éviter que leurs décisions ne soient systématiquement remises en question par un référendum législatif.
La seconde dérive de la fonction originelle des référendums est celle découlant de la pratique consensuelle. Dans ce système, l’opposition est systématiquement associée au processus de décision, de surcroît l’élection à la proportionnelle favorise le multipartisme et donc la multiplication de petits partis d’opposition. Dans un tel système l’opposition n’est pas efficace dans le rôle traditionnel qu’on lui attribue étant donné que la logique du système impose une participation au processus de rédaction des lois. Depuis 1919 et l’abandon du fait majoritaire c’est le peuple qui joue le rôle d’une opposition de fait inexistante au sein des organes représentatifs. Le peuple par le biais du référendum législatif n’exerce pas un simple droit de veto grâce auquel il contrôle le gouvernement. L’initiative va lui permettre bien au delà de cette fonction originelle de jouer un rôle politique rendu obligatoire par la pratique du consensus. Le référendum finit par jouer un rôle de substitut à l’absence d’opposition.
Pour résumer, les dérives qui ont été faites de l’instrument ont favorisé une multiplication des déclenchements. La « tempête référendaire » suisse exigerait des citoyens une connaissance très supérieure en droit, en politique et dans l’actualité que dans d’autre pays pour qu’ils soient capables de trancher les questions référendaires en connaissance de cause. Mais c’est certainement dans la lassitude des citoyens vis à vis de ces référendums à répétition, et moins dans leur complexité, que serait l’origine de l’abstentionnisme.
En Italie, les dérives de l’utilisation de l’instrument de démocratie directe concernent principalement le référendum abrogatif de l’article 75 de la Constitution de 1947.
Comme nous l’avons dit le consociativisme a conduit l’Italie à une forme de « démocratie bloquée ». C’est dans ce contexte que l’on mit en pratique le référendum facultatif de l’article 75 de la Constitution. Le référendum fut déclenché pour la première fois en 1974 par la DC qui comptait par ce biais abroger la loi de 1970 permettant le divorce. Selon l’article 75 le référendum abrogatif devrait permettre un contrôle populaire sur les décisions législatives de la majorité parlementaire. Dès les années 1980 la dérive de l’utilisation de l’instrument s’est traduite par une augmentation massive de son déclenchement. En raison de la situation de blocage parlementaire. C’est d’ailleurs par ce biais que les grandes réformes ont été prises ces dernières années dont celle de 1993, en effet l’instabilité des coalitions des partis politiques au gouvernement ou au Parlement ne permettait pas d’engager les grandes réformes indispensables au pays.
De ce fait le référendum abrogatif va être utilisé pour donner naissance à de nouvelles lois ou à de nouveaux principes. Ce détournement de l’instrument a été rendu possible grâce à l’aval de la Cour Constitutionnelle elle même et cela pour deux raisons. D’une part elle a cédé aux fortes pressions politiques qu’elle subissait. D’autre part elle envisageait son utilisation pour permettre de passer outre le Parlement qui avait tant de mal à parvenir au consensus. La dénaturation de la pratique du référendum d’initiative populaire a permis l’apparition d’un nouveau concurrent pour le pouvoir législatif : le peuple lui-même. Le recours à la consultation populaire va ainsi permettre de court-circuiter l’inertie du Parlement. Cette dénaturation de l’initiative populaire est à l’origine de l’utilisation excessive de l’instrument, à tel point que la dénomination constitutionnelle de « référendum abrogatif » ne correspond aujourd’hui à la réalité de son utilisation.
Deux pratiques ont permis ce dérapage. La Cour Constitutionnelle Italienne a d’abord permis de procéder non pas l’abrogation entière de telle ou telle loi mais uniquement à une partie ou à une phrase de celle-ci. Par ce biais, on s’est très vite rendu compte que la technique des découpages allait permettre au peuple d’intervenir en tant que législateur positif. L’initiative permet donc de créer une nouvelle norme ayant force de loi en permettant l’abrogation partielle des textes votés comme ce fut le cas lors de la grande réforme de 1993. La Cour Constitutionnelle, constatant l’ampleur institutionnelle qu’avait acquis le référendum abrogatif, est intervenue dans le but d’assurer une meilleure protection des citoyens. En effet, en raison de la multiplication et de l’importance de la loi référendaire dans l’ordre juridique italien, elle émit des conditions plus strictes quant à la formulation des questions référendaires. Elle interdit dans un premier temps que les demandes soumises au référendum soient obscures ou équivoques. Cette obligation de clarté a conduit à ce que les questions formulées soient beaucoup plus que des lois à objet circonscrit mais plutôt des lois de principe touchant telle matière d’une façon très large. Ainsi lorsque le parlement interviendra ultérieurement dans un domaine déjà tranché par le peuple, ce dernier sera tenu par la loi de principe : son travail est donc rendu plus difficile car il reste lié au-delà du référendum. Le parlement n’a plus qu’une compétence résiduelle par rapport au peuple lorsque ce dernier adopte souverainement une loi de principe.
La Cour Constitutionnelle a donc joué un rôle important dans le développement de l’instrument référendaire. Elle continue d’ailleurs en contrôlant la constitutionnalité des questions soumises à référendum.
L’article 75 de la Constitution reste le domaine où l’on pourrait reprocher à la Cour d’avoir voulu trop en faire. Certains auteurs italiens affirment même que c’est dans cette matière que l’on a pu déceler les limites extrêmes de la Cour. Toutefois après avoir validé la pratique du référendum abrogatif partiel et l’adoption de loi de principe, sa tendance actuelle semble plus ferme. La Cour a en effet déjà déclaré inconstitutionnelles plus de 69 propositions de référendum abrogatif qui, en conséquence, n’ont jamais été soumis à consultation populaire. Son attitude est courageuse et répond certainement à sa prise de conscience des inconvénients de la multiplication des initiatives dans le système italien dont elle a été en partie à l’origine. Quoiqu’il en soit, la Cour devrait ainsi favoriser un retour de l’utilisation de l’instrument à ses fonctions originelles et ainsi limiter son utilisation lorsque celle-ci a pour but de créer de nouvelles lois.
L’engagement de la Cour est facilité par l’adoption de la grande réforme de 1993 grâce à laquelle une majorité politique à l’Assemblée Nationale devrait permettre un travail législatif infiniment plus efficace. Le Parlement reprenant sa place de législateur, on peut espérer qu’un recours plus ponctuel au référendum relancerait l’intérêt des citoyens à son égard. Au vu des derniers résultats ou la participation est descendue à un taux record de 30% il faudra du temps pour réconcilier le peuple avec le référendum même si l’Italie semble s’être engagée sur la bonne voie.
Ces dérives dont découle une multiplication des déclenchements se sont retournées contre l’instrument lui même. Il y a d’une part une perte de légitimité de la fonction du référendum et d’autre part une lassitude des citoyens qui ont trop souvent l’obligation de voter.
Les mécanismes de la désaffection du corps électoral
Il se produit donc une désaffectation généralisée du politique dans nos sociétés post-industrielles. Ce malaise politique se traduit pour le citoyen par une augmentation croissante de l’abstentionnisme, et comme nous l’avons vu cela est particulièrement apparent dans le cadre du référendum.
L’abstention électorale révèle un malaise politique profond. L’existence de cette relation n’est pas nouvelle : déjà Rousseau, Mill et Tocqueville connaissaient ce phénomène. Cependant, ce qui a beaucoup évolué c’est l’esprit dans lequel le citoyen exerce cette abstention. L’abstention au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, conformément à sa définition juridique, correspondait pour le citoyen au non exercice d‘un droit ou d’un devoir : le vote. La pratique de l’abstention a une signification très différente aujourd’hui. L’abstention, dans l’esprit d’une majorité de citoyens, est devenue un mode de contestation électorale, un moyen d’exprimer mécontentement et lassitude. Le référendum de 2000 sur le quinquennat est particulièrement révélateur : parmi les 69,8% d’abstention, 16,18% des électeurs ont voté blanc ou nul. Les sondages font en effet apparaître ce phénomène comme préoccupant. L’abstention devient un comportement cyclique et prend tellement d’ampleur qu’elle devient un facteur décisif sur le résultat final de l’élection.
C’est ce phénomène que je tenterai d’analyser dans le cadre du scrutin référendaire. La France, l’Italie, la Suisse se distinguent fondamentalement les unes des autres surtout en ce qui concerne l’utilisation du référendum. L’Italie est un pays dans lequel l’esprit partisan est très développé. Par nature la participation électorale y est plus forte qu’en Suisse ou la vie politique est très paisible, où l’affrontement idéologique n’existe pratiquement pas. Pour sa part la France se distingue de la Suisse et de l’Italie de par la rareté de l’utilisation de l’instrument référendaire.
De ces différences fondamentales il ne s’agira pas de comparer de but en blanc tel résultat à tel référendum dans tel pays par rapport à tel autre, il s’agira de comparer quelles sont les consultations qui ont connu des taux d’abstention particulièrement forts ou faibles par rapport à la moyenne nationale dans chacun des trois pays. Cela permettra de dégager une attitude commune des citoyens de ces trois pays face au référendum. A l’issue nous tenterons de déterminer à quelles caractéristiques doit répondre un référendum pour susciter l’engouement des électeurs.
Désaffection liée à l’organisation des référendums
Liée à la fréquence des référendums.
En France, Rappelons que 9 référendums ont été organisés depuis 1945, dont 4 entre 1960 et 1969 : la participation moyenne est de 72 %. En Italie, il y a eu 41 référendums organisés avec une participation moyenne de 74 %. En Suisse il y avait eu 380 référendum en 1995 avec une participation moyenne de 45 %. Il semble exister une relation entre la fréquence des consultations et la lassitude des citoyens à voter.
Selon la clarté de la présentation du problème au citoyen.
En Suisse, un référendum a été organisé le 6 décembre 1992 en vue de l’adhésion à l’EEE. Les adversaires de l’adhésion devaient voter oui au référendum et les partisans de l’adhésion voter non. La participation a été élevée (78,7 %) mais le sentiment général de rejet de ce type d’ambiguïté a été largement commenté dans la presse.
En Italie, un référendum abrogatif se déroule toujours de la façon suivante : les électeurs doivent répondre à la question « êtes vous favorable à l’abrogation de la loi … ? ». Cette formulation conduit les électeurs à répondre oui lorsqu’ils ne sont pas d’accord avec la loi proposée. Il en résulte de nombreuses confusions dont les électeurs se rendent compte après les élections en dénonçant la complexité d’un système qui les induit en erreur. De la même façon, toujours en Italie, le référendum constituant nécessite de répondre oui pour approuver la loi, ce qui augmente l’ambiguïté vis à vis du système précédent.
L’organisation du référendum, et la clarté de l’exposé de la consultation revêt pour les citoyens une grande importance afin que ce dernier ne se sente pas lésé a posteriori. Cette critique qui perdure en Italie n’a toujours pas été prise en compte par les autorités en ce qui concerne les référendums abrogatifs.
Participation selon la date de l’organisation du référendum et l ‘évolution des idées dans les débats de société.
La mise en place d’une consultation populaire peut être longue. Une bonne information des citoyens ou la récolte des signatures dans le cadre d’initiative populaire peut prendre plusieurs mois. Certains résultats référendaires montrent que pour faire passer des réformes une maturation de la société est nécessaire. Un des enjeux d’un référendum réussi est donc de l’organiser au moment où les citoyens auront assez d’informations et de recul sur la question pour avoir la satisfaction de voter en pleine connaissance de cause. L’exemple le plus frappant est certainement les référendums abrogatifs italiens concernant le financement des partis politiques. Le 12 Juin 1978, la réforme n’avait pas pu passer (43,8% de personnes favorables à l’abrogation). En avril 1993, après une série de fortes secousses dans la vie politique italienne, la même question fut approuvée par 90,7% de la population. En Suisse, plusieurs référendums ayant pour objet de remplacer l’impôt sur le chiffre d’affaire par la TVA ont été rejetés en 1977, 1979, 1991. L’adoption de la réforme n’a finalement eu lieu qu’en novembre 1993. De même, la réforme du scrutin pour l’attribution des sièges des chambres a débuté en 1993 en Italie. Cette réforme prévoit un scrutin majoritaire avec attribution de 25% des sièges à la proportionnelle. Cette réforme n’a pu aboutir lors des référendums du 18 Avril 1999 et du 21 Mai 2000 car le taux de participation n’a pas atteint le quorum (en 1999 : 49,6% de votants, 2000 : 32,4%). Malgré ces échecs, il y a fort à parier que le chemin de l’Italie vers une démocratie majoritaire est une nécessité et que, quelque soit la forme de l’adoption, la réforme sera prise lorsque les citoyens auront pris conscience des enjeux.
Participation selon l’aspect passionnel ou non des débats – Influence de la complexité de la question posée
En Suisse aussi, en 1992, après un rejet massif de l’adhésion à l’EEE avec un très fort taux de participation (78,7%), un référendum a été envisagé par les nationalistes pour bloquer les négociations entre le gouvernement helvétique et l’Union Européenne (UE). Les sondages ont indiqué que la population se sentait mal informée de l’objet de cette future consultation (qui concernait des aspects très techniques des rapports entre l’UE et la Suisse). Ce référendum n’a jamais été organisé malgré le succès du premier qui avait pourtant un objet similaire : l’adhésion dans les deux cas des institutions supra-étatiques. L’aspect passionnel des débats s’est fait ressentir en 1992 et n’est pas apparu pour la consultation suivante sur le même sujet. De la même façon en Suisse, les trois autres référendums qui ont obtenu des taux record de participation ont concerné des sujets passionnels dans un contexte parfois polémique : en 1970 et 1974 la participation à des référendums dont une question portait sur le statut de la main d’œuvre étrangère a atteint 75 % ; en 1989 une question sur l’armée suisse a obtenu 69 % de participation.
En France, lors du référendum d’adhésion au traité de Maastricht en 1992, la presse a clairement fait état d’une information insuffisante des citoyens sur le contenu de ce à quoi ils s’engageaient en votant oui ou non. Le résultat du vote a été, semble-t-il, plus lié à la force d’engagement des partis et des leaders politiques qu’à un débat qui a partagé la classe politique bien en dehors du clivage habituel droite-gauche. Par ailleurs, l’objet du traité était très technique, et il a été reconnu que peu de discussions de fond ont éclairé les connaissances des citoyens lors de la campagne électorale. De ce fait, le débat a été plus passionnel que réfléchi et un taux honorable de participation (69,6 %) a été observé. A l’inverse le référendum sur le quinquennat de 2000 a fait l’objet d’un large consensus politique. Les conséquences du oui étaient simples et claires pour le citoyen (éviter la cohabitation) et un taux historiquement bas de participation a été observé (30%, voir figure n° 2).
Malgré ces quelques exceptions, la critique la plus fréquente des citoyens envers le référendum est le caractère complexe de l’objet de la consultation référendaire. Ainsi les questions de caractère purement politique n’ont pas l’attention des citoyens. Selon eux, les révisions constitutionnelles et les lois sont devenues trop compliquées et fluctuantes. Dans ce cadre une formulation des questions plus simple et dénuée de tout vocabulaire juridique ou économique serait peut-être une solution à apporter.
Dans le même ordre d’idée, il serait peut-être intéressant d’essayer, quand c’est possible, de soumettre au vote du peuple non pas des lois générales et abstraites ou des grands principes mais des lois précises, des lois d’exécution. En Suisse, en 1958, les citoyens ont voté les principes fondamentaux de compétence de la Confédération en matière de construction de route et de centrale nucléaire. A partir du milieu des années 75, alors que les lois d’exécutions des dites constructions étaient prises et les travaux sur le point de commencer, l’opinion publique s’est passionné de ce problème. D’autres référendums ont donc été organisés mais sous la pression des citoyens et malgré la réticence du gouvernement. L’opinion publique affirmait n’avoir pas voté la première fois en pleine connaissance de cause parce que la question débattue la première fois était trop abstraite. Cet exemple permet de mettre en exergue l’importance de la compréhension de l’objet du référendum chez les électeurs : c’est souvent de là que découleront les grands débats qui permettront à la société de choisir.
Pour résumer, on se rend compte que le citoyen semble très sensible à l’aspect passionnel des débats organisés par les partis politiques et les médias. Si le caractère complexe d’une consultation semble être l’un des aspects les plus critiqués par les citoyens et les plus influents lors des votations, il semble toutefois revêtir un caractère secondaire lorsque l’objet de la consultation référendaire est polémique.
Participation selon l’initiateur du référendum
En France, les 4 référendums organisés entre 1961 et 1969, dits référendum « gaulliens », sont caractérisés par une participation élevée (1961 : 76,5 % ; 1962 : 75,6 % ; 1962 : 77,2 %; 1969 : 80,6 %) lorsqu’on les compare aux données des référendums postérieurs (figure n°1). Cela est sans doute dû en partie à la personnalité très charismatique de de Gaulle et à une forme de « référendum-plébiscite » que ce dernier recherchait peut-être. Mais il faut reconnaître aussi que certaines questions posées (par exemple : accords d’Evian en 1962, élection du président de la république au suffrage universel direct la même année) pouvaient être jugées comme très importantes par les citoyens. De plus le général de Gaulle, en posant la question de confiance, donnait un relief supplémentaire à la consultation : il engageait son mandat présidentiel.
On peut s’apercevoir qu’en Italie et en Suisse, les initiatives populaires ou les référendums abrogatifs semblent avoir moins de succès que les référendums organisés par les pouvoirs publics. En Italie par exemple, les référendums sont souvent déclenchés par le parti radical, une petite formation extraparlementaire dont les résultats sont litigieux. Par contre, le 18 juin 1989, un référendum a eu lieu en Italie sur l’attribution de pouvoir constituant au parlement européen. Ce référendum, considéré comme posant une question majeure, n’était prévu par aucune disposition constitutionnelle, le parlement italien était à l’origine de cette consultation exceptionnelle. Le taux de participation a été l’un des plus élevé que l’Italie ait jamais connu (80,7%). Le pourcentage de oui pour cette question était aussi très élevé (88,1%). Par opposition les référendums abrogatifs qui suivirent, celui du 3 Juin 1990 du 15 Juin 1997 et du 18 Avril 2000 n’ont même pas atteint le quorum fixé par l’article 75. La participation est même descendue à 30% en 1997. De même le premier référendum constitutionnel d’initiative populaire du 7 Octobre 2001 portant sur un sur un sujet pourtant cher aux yeux des citoyens : l’autonomie des régions n’a finalement attiré que 34,2% des citoyens. On retrouve aussi ce phénomène en Suisse : aucune initiative populaire dont l’objectif était une révision totale de la Constitution n’a été approuvée par le peuple. Pour les propositions de révision partielle de la Constitution, seulement 8 projets présentés par une organisation extra étatique ont été acceptés alors que le peuple a approuvé plus de 100 projets ou contreprojets du Parlement.
Pour résumer, on s’aperçoit que malgré une tendance contestataire, les citoyens vouent quand même une confiance importante aux institutions et à certains leaders politiques. Ils savent se mobiliser pour des questions importantes. La participation est souvent plus haute lorsqu’il s’agit d’une initiative des pouvoirs publics et c’est certainement à ce niveau là que se trouvent les effets les plus forts du constat dénaturation que nous avons déjà présenté. Le référendum est utilisé en Suisse et en Italie comme tactique politique il en découle une perte de crédibilité qui touche essentiellement les référendums initiés par certains mouvements sociaux.